Annoncée comme la “COP des COP” de la désertification dans un calendrier international qui la plaçait comme la troisième des grandes COP des Conventions de Rio dans l’année 2024 – les deux premières (Climat et Biodiversité) s’étant soldées par de fortes déconvenues en termes d’engagements – la COP16 désertification à Riadh en Arabie Saoudite était porteuse de grandes espérances. Celles-ci ont-elles été exhaussées ?
Si la surface couverte par les bâtiments abritant les travaux de la COP16 – en plein centre d’un Riyadh en chantier pour la construction du Métro – avaient de quoi impressionner et si les chiffres annoncés de la participation (entre 17 000 et 23 000 personnes selon les sources) et 600 événements parallèles, semblent attester d’une activité peu habituelle des COP désertification, des interrogations subsistent sur ces chiffres quant à la participation aux négociations (en zone bleue) et sur l’espace d’exposition grand public plutôt commercial (zone verte). L’annulation tardive du segment comprenant des chefs d’état interroge également. Le doublement soudain du nombre d’organisations de la société civile (OSCs) accréditées – et pour certaines invitées et financées directement par le pays hôte – en une seule COP, la présence plus marquée du secteur privé sous la bannière OSCs et la fréquentation de certaines sessions, posent aussi leur lot de questions.
Concernant les aspects contextuels et géopolitiques, il n’échappe à personne que le pays hôte – l’Arabie Saoudite dont les prises de position dans les récentes COP climat et biodiversité ont été critiquées – est en quête de stature internationale et désire de peser dans plusieurs domaines des enjeux internationaux. A ces fins, diminuer la perception négative de son modèle économique basé sur les énergies fossiles dans un monde où la transition écologique s’impose est certainement stratégique. Mais avoir une COP dans un pays désireux de mettre des moyens importants dans la promotion d’un événement multilatéral portant sur l’environnement, ne faisait que rejoindre une préoccupation tout à fait justifiée de la CNULD de mieux émerger dans le débat international. Une alliance de raison en quelque sorte.
Les aspects organisationnels et logistiques n’avaient pas été laissées au hasard, notamment via le recours à un impressionnant contingent de volontaires très disponibles (on parle de plusieurs milliers de personnes) répartis sur tous les espaces, ainsi qu’à de nombreux prestataires étrangers, notamment français. Les travaux du CST, du CRIC, du SPI et de la COP en général se sont donc déroulés selon une organisation remarquable directement imputable aux moyens importants mobilisés. L’intention de marquer les esprits étant explicite, certains commentaires enthousiastes, notamment dans le cercle des OSCs, sont probablement en partie fondés sur ce contexte. Voilà pour le cadre.
Des avancées, des déceptions, une COP aux résultats mitigés
Cependant, si les déclarations plusieurs fois exprimées du côté des organisateurs, pour « la plus grande et inclusive conférence des Nations Unies sur les terres » (dixit CNULD), semblent en partie confirmées, force est de constater que les résultats semblent moins substantiels du côté des avancées.
Une première déception avérée consiste en l’incapacité des Parties de pouvoir conclure un accord multilatéral sur la sécheresse, malgré quatre années de travail du groupe intergouvernemental ad-hoc et les 6 options proposées dans son rapport. Cet accord pourtant fermement revendiqué par l’Afrique, s’est heurté à de nombreuses oppositions, notamment des pays développés dont l’Union Européenne, motivées comme souvent par la crainte des engagements de financement qui y seraient liés, mais aussi par certaines faiblesses dans les arguments pour convaincre et d’opérationnaliser un tel accord. Le groupe intergouvernemental a été reconduit pour affiner la proposition et ses travaux seront présentés pour décision à la COP17.
Une autre déception, du côté des OSCs cette fois, a été le manque de volonté des états d’accepter les OSCs comme observateurs dans les groupes de contacts qui négocient en aparté les sujets qui ne font pas consensus avant de les présenter en plénière. Cette demande soutenue par de nombreux pays et notamment l’UE, s’est heurtée au refus de beaucoup de pays, dont les pays africains. La démocratie participative reste un enjeu sensible jusque dans le cercle feutré des nations Unies.
Côté fonctionnement de la CNULD et de son secrétariat, le budget augmenté revendiqué pour cause d’inflation et d’extension de ses activités, n’a été retenu qu’à hauteur de 80 % de la proposition initiale, soit 17 millions USD pour 2025 et 2026. Une alerte a été posée sur l’absence de financement du système de retraite des employés. De manière additionnelle certaines dépenses limitées ont été autorisées pour une étude sur les appuis techniques à fournir au SPI, pour des déplacements et services extérieures, pour le fonctionnement du groupe sur la future stratégie. Si les Etats Unis sont le premier contributeur, la France est le sixième contributeur après la Chine, le Japon, l’Allemagne, le Royaume Uni. L’ambition de la CNULD est-elle vraiment compatible avec ce budget ? Comparativement le budget de la convention climat pour le même période est de 74 millions USD ; comment ne pas y voir un manque d’intérêt pour la question des terres pourtant fondatrice des questions environnementales ?
Plus fortement affirmé dans les discours que par le passé, le lien direct avec la sécurité alimentaire et l’adaptation au changement climatique, notamment en termes de co-bénéfices, a servi de justification à une priorité nouvelle donnée à la restauration des terres et à la résilience face à la sécheresse dans les politiques publiques. A cet égard il faut espérer que la seule restauration des terres ne soit pas privilégiée sous le prétexte qu’elle semble plus apte à intégrer des modèles économiques de marché. Alors que les dimensions d’évitement ou de réduction des dégradations, bien moins attrayantes financièrement à ce stade et même nuisibles à certains intérêts privés, sont certainement plus prometteuses et surtout peuvent être mises en œuvre directement par les millions de ruraux pauvres et leur profiter.
Comme une avancée on peut citer la reconnaissance des travaux entrepris par l’Interface Science politique (SPI) de la Convention crée en 2013 qui était en fin de mandat. Ses travaux présentés en session montrent que les trois quarts des surfaces terrestres exemptes de glace sont devenues plus sèches de manière permanente au cours des 30 dernières années. Ce constat est assorti d’une prévision de cinq milliards de personnes qui vivront dans des zones arides d’ici 2100. La décision prise donne au SPI un statut plus permanent au sein de la CNULD. Ceci avec l’intention de disposer plus en continu des données et analyses scientifiques sur lesquelles baser les décisions (explicitement mentionné), ainsi que d’entreprendre la construction de liens de travail étroit avec les deux autres panels des conventions de Rio, le GIEC (climat) et l‘IPBES (biodiversité).
Dans les 37 décisions rapportées de la COP16 désertification (plus du double que pour la COP Climat) la plupart d’entre elles portent bien plus sur des aspects fonctionnels et des arrangements institutionnels de la Convention pour accroître son efficacité que sur des engagements nouveaux. Fait remarquable, l’importance à priori significative accordée à toute une série d’initiatives, dynamiques, ou groupes d’influence nouveaux comme le « Caucus pour les peuples indigènes », le « Caucus pour les communautés locales », le « Forum des jeunes » et ses déclinaisons de « jeunes négociateurs, » ou jeunes « héros des terres ». Tout comme sont promus les travaux de l’initiative « Business4Land » pour le secteur privé, ou « l’Initiative Globale sur les Terres du G20 ».
La tonalité de l’ensemble est assez bien résumée dans la déclaration du Président de la COP16, le Ministre saoudien de l’Environnement, de l’Eau et de l’Agriculture, Abdulrahman Alfadley que « cette réunion marquait un tournant dans la sensibilisation internationale à la nécessité urgente d’accélérer la restauration des terres et la résilience face à la sécheresse. » La question légitime soulevée par cette affirmation de « la sensibilisation à une nécessité » est-elle une avancée qui compte au rendez-vous urgent que pose l’histoire ? L’action déterminée n’est-elle pas l’injonction qui doit surdéterminer le reste ? 30 ans après la signature de la Convention à Paris et après le constat sans appel sur la situation des terres dans le monde, est-il encore possible de se satisfaire de déclarations qui, pour l’essentiel d’entre elles, sont prononcées de manière répétitive de COP en COP ? Ceci alors que, selon les mots du Secrétaire exécutif de la CNULCD, Ibrahim Thiaw, lors de la plénière de clôture de la COP16, « Comme nous l’avons discuté et constaté, les solutions sont à notre portée ». On attend quoi au juste ?
Pour comprendre l’écart et en mesurer la portée, on peut citer l’estimation de la CNULCD de besoins « d’un 1 milliard de dollars d’investissements quotidiens entre aujourd’hui et 2030 pour atteindre les objectifs mondiaux de restauration des terres et lutter contre la désertification et la sécheresse » (soit 2600 milliards de dollars) face à une réalité crue de la quasi-totalité de ce montant restant à mobiliser.
Des engagements concrets mais limités
Dans les engagements à porter au crédit de la COP16, figure la promesse du « Partenariat mondial de résilience à la sécheresse de Riyad », qui a mobilisé 12,15 milliards de dollars pour soutenir 80 des pays les plus vulnérables au monde dans le renforcement de leur résilience à la sécheresse. 10 milliards de dollars provenant du Groupe de Coordination Arabe. Peu de détails ont été fournis sur leur mise en œuvre à ce stade.
Plusieurs autres initiatives, ont été annoncées :
- Le Royaume d’Arabie Saoudite a annoncé cinq nouveaux projets d’une valeur totale de 60 millions de dollars pour intensifier les efforts climatiques et environnementaux dans le cadre de l’Initiative Verte Saoudienne.
- Les États-Unis et plusieurs pays partenaires ainsi que d’autres organisations ont annoncé un total de près de 70 millions de dollars d’investissements pour faire avancer la « Vision pour les cultures et sols adaptés » (VACS). Cette initiative étant destinée à « bâtir des systèmes alimentaires résilients, basés sur des cultures diversifiées, nutritives et adaptées au climat, cultivées dans des sols sains ».
- L’initiative de la Grande Muraille Verte (GMV) en Afrique a quant à elle mobilisé 11 millions d’euros de la part du gouvernement italien pour la restauration des paysages au Sahel et 3,6 millions d’euros du gouvernement autrichien pour renforcer la coordination et la mise en œuvre de l’initiative dans 22 pays africains.
- L’initiative de l’Alliance Internationale pour la Résilience à la Sécheresse (IDRA), rejointe par l’Arabie Saoudite en 2024, a lancé l’Observatoire International de Résilience à la Sécheresse (IDRO), comme la première plateforme mondiale basée sur l’intelligence artificielle pour aider les pays à évaluer et renforcer leur capacité à faire face à des sécheresses plus sévères.
- Sur le plan du genre, les pays ont souligné la nécessité d’accorder une attention particulière à toutes les formes de discrimination subies par les femmes et les filles lors de la conception et de la mise en œuvre de politiques et de programmes liés à la dégradation des terres et à la sécheresse.
- En termes de mobilisation du secteur privé, les parties ont mandaté le Secrétariat de la CNULCD et le Mécanisme Mondial pour mobiliser l’engagement du secteur privé dans le cadre de l’initiative Business4Land.
Tour d’horizon succinct sur le document intitulé « Action entreprise par la COP dans sa seizième édition » (annexe 2 du rapport de la COP)
Sur les 37 décisions répertoriées, il s’avère que toutes ne sont pas explicitement des décisions. Il y a par exemple plusieurs rapports de travaux, des rapports de suivi sur le cadre des politiques genre, sécheresse, tempête de sable et de poussière, foncières, sur le pastoralisme, ou encore des déclarations annexées comme celle des Organisations de la société civile, du forum des jeunes, de peuples indigènes, ou la déclaration de Riyadh. Parmi les décisions formelles on notera les lieux et dates de la prochaine COP (lLa Mongolie en 2026) et du prochain CRIC (au Panama en 2025) ainsi que leurs programmes de travail.
Les décisions 15 à 22 concernent plus particulièrement l‘Interface science politique (SPI), dont ses recommandations sur les systèmes d’usages des terres, sur l’aridité, ses tendances, ses projections et ses impacts et les recommandations issues de l’analyse du sixième rapport du GIEC. Sont également abordées les questions de partage de connaissances et le transfert technologique, ainsi que le recours aux solutions basées sur la nature pour éviter et réduire les dégradations et restaurer les sols. Enfin plusieurs décisions sont relatives au programme travail et au fonctionnement du SPI dans le cadre du renouvellement de son mandat.
Plusieurs autres décisions comportent des précisions importantes ;
- La décision 1 requiert que le secrétariat et le mécanisme mondial établissent un plan de travail pluriannuel utilisant un cadre de gestion basé sur les résultats sur la période 2025 à 2028. On y lit 13 résultats attendus dans la mise en œuvre de la convention dont l’égalité des genres, la sécurité foncière, un profil plus élevé de la Convention, la croissance des partenariats, la hausse de l’implication du secteur privé, l’établissement de partenariats, l’accroissement de la mobilisation des ressources.
- La décision 2 requiert du secrétariat l’établissement d’une stratégie de renforcement des capacités, la collaboration avec la Global Land Initiative du G20, la réponse positive aux demandes de formation des médias, le développement d’un programme de stages pour les jeunes et moyennes carrières, le soutien au renforcement des capacités des pays en développement,
- La décision 3 fait le point sur les progrès de la mobilisation des ressources en faveur de l’atteinte de la cible 15.3 ; la décision insiste sur les multiples pistes de financement dont le recours à des projets phares, au Fonds pour l’environnement mondial, au Fonds vert climat, mais aussi aux financements nationaux.
- La décision 4 porte sur la communication et la qualité du rapportage à la convention ; elle rend optionnels cinq indicateurs de rapportage. Elle comporte la décision de créer un groupe intergouvernemental de travail sur la future stratégie de la convention portant sur la période post 2030 ainsi que de la composition du groupe.
- La décision 5 porte sur la société civile et son implication dans les travaux de la convention. Elle évoque entres autres les nouveaux groupes représentatifs de la société civile comme le Forum des jeunes, les Caucus peuples indigènes et communautés locales, ainsi que le renouvellement du panel élu représentatif des OSCs accréditées. Appel est fait aux bailleurs d’abonder le financement du Fonds Spécial et du Fonds supplémentaire de la Convention devant permettre la participation de la société civile.
- La décision 6 porte sur l’importance de l’implication du secteur privé et de la mise en œuvre de la stratégie Business4land en intégrant la gestion durable des terres et de l’eau dans les standards de gouvernance.
- La décision 7 visant la mise en œuvre de la stratégie CNULD sur la période 2018 à 2030 insiste sur son intégration dans les stratégies et plans nationaux y compris la gestion budgétaire. Elle demande aussi au secrétaire exécutif de traduire le concept de neutralité en matière de dégradation des terres en un outil simple et pratique à l’usage du grand public mais aussi des décideurs. Elle requiert du secrétariat et du mécanisme mondial la mise en œuvre de pratiques agricoles basées sur les solutions fondées sur la nature et cite notamment l’agroécologie. Elle requiert du secrétaire exécutif de consulter les pays non affectés sur leur manière de contribuer au prochain cycle de rapportage ;
- La décision 8 porte sur les relations et partenariats avec les autres conventions et organisations, institutions et agences internationales ; Elle insiste notamment sur la collaboration et la synergie avec les deux autres conventions de Rio et la collaboration avec leurs panel scientifiques respectifs (GIEC et IPBES)
- La décision 9 porte sur la collaboration avec le FEM. Elle salue la mise en œuvre d’un fonds « multi » pour des projets à co-bénéfices et invite le FEM à renforcer son soutien au pays qui mettent en œuvre leur plans volontaires d’atteinte des cibles de neutralité. Elle appelle notamment à une reconstitution robuste du 9ème fonds FEM et à l’accroissement de sa « fenêtre » lutte contre la dégradation de terres et contre la sécheresse.
Dans l’ensemble des décisions, et bien que nous ayons relevé 27 fois le mot « décision », nous avons relevé 14 mentions stipulant « en fonction de la disponibilité des ressources » et 17 fois le mot « invite » ce qui pourrait dénoter une certaine incertitude quant à leur mise en œuvre.