Dans le cadre de la 34ème édition de la Quinzaine Des Solidarités Internationales, Nadine Huet-Hanouin, la Présidente de la Maison des Territoires du Monde–Solidarité Internationale, a proposé au CARI et à l’Association Franco-Malienne TAZUNT de s’associer le temps d’une soirée pour évoquer la situation de la population au Nord du Mali.
Cette année, la thématique choisie par la MTMSI était « Environnement et Droit des Peuples », question qui devrait être au cœur des préoccupations pour nos amis de cette région du Sahel, frappée par les changements climatiques, avec une alternance de plus en plus contrastée entre records de chaleurs (comme en avril 2024 quand le thermomètre s’est approché de 50 °) et pluies qui détruisent tout ce qui restait encore en place, entrainant au passage des épidémies de malaria.
Mais les habitants de la région qui depuis 2012 doivent composer entre crise sécuritaire et abandon de l’état, vivent depuis les coups d’état de 2020-2021, un durcissement des positions gouvernementales qui a pris la tournure d’une épuration ethnique (les groupes Peuls et Tamascheq étant plus systématiquement ciblés). Le retrait des casques bleus n’a pas été vécu comme une libération par la majorité de la population, loin s’en faut, et le non-respect des Accords de 2015 sur la gestion administrative logique d’une région somme toute très éloignée de la capitale, s’est accompagné d’une offensive d’état d’une rare violence. Les Famas (l’armée malienne) et leurs alliés de Wagner mènent un conflit interne sans précédent, avec des actes d’une violence difficile à décrire envers les civils, hommes, femmes, enfants. La terreur qui règne actuellement dans la région a entrainé une fuite vers la frontière algérienne des populations de Ménaka, Gao, Kidal. On estime que près de 40 000 personnes sont éparpillés tout au long de la frontière Algérienne, privées de secours, à peine tolérés par les autorités algériennes, voire chassées.
Aucune ONG internationale n’a pu prendre le relai depuis le départ de la minusma, qui garantissait néanmoins une sécurité minimale à cette population de longue date résiliente.
C’est dans ce contexte tragique, que Bakrene Ag Sidimohamed et le jeune SidiMohamed Ag Attaher ont participés en visio à la soirée, nous apportant leurs témoignages sur la situation, le premier à partir du camp de Timeyawen, où il est réfugié depuis l’arrivée de Wagner à Tessalit et le second de Tamanrasset où il séjourne depuis deux ans, privé d’études alors qu’il devrait passer son bac cette année. Un échange a suivi, mené par le fondateur et Président du Cari, Patrice Burger, qui connaît bien la région pour y avoir mené des projets jusqu’à 2012.
Bakrene nous a décrit la crise inévitable que vivent les réfugiés, statut que leur refuse d’ailleurs l’Algérie comme le Niger, la région étant maintenue dans une zone rouge qui complique les acheminements d’aides sanitaires, médicales ou alimentaires. Les massacres humains s’accompagnent d’une destruction systématique de tout ce qui concerne l’activité paysanne : les puits, les châteaux d’eau, le bétail, tout est attaqué.
Dans ce contexte, la seule aide possible doit être coopérative et s’appuyer sur les associations locales.
Ce constat a été repris par Mariama Wallet Mohamed, représentante de la diaspora et responsable des plaidoyers et des questions humanitaires pour l’association AZAWAD Solidarity, au cours de sa vibrante intervention. Elle même originaire de Tombouctou où réside encore une partie de sa famille, appelle à une prise de conscience de la Communauté Internationale sur le massacre systématique en cours et s’insurge à juste titre sur le qualificatif de terroristes par le gouvernement malien, s’agissant des résistants du (nouvellement nommé) Front de Libération de l’Azawad, qualificatif qui conduit certains médias à faire des amalgames faciles avec les islamistes ultra radicaux dont est aussi victime la population, faut-il le rappeler ?
À ce titre, le témoignage émouvant de Sidi Mohamed sur la situation scolaire est à interroger sous le prisme d’une volonté effarante de maintenir une forme d’obscurantisme dans la région en détruisant systématiquement les lieux d’éducations fussent un toit de paille au milieu de la brousse. Cependant, depuis la stratégie de désengagement total dans le système scolaire par les gouvernements successifs à partir de la crise de 2012, la population s’est mobilisée et avait réussi à mettre en place des écoles et des enseignants volontaires, preuve s’il en est que la solidarité peut se passer des grandes ONG internationales, que la population est animée par la volonté simple de vivre enfin en Paix et qu’elle peut s’organiser pour avancer, tant qu’on ne s’obstine pas à détruire ce qu’elle construit.
Notre échange s’est terminé en musique, avec un concert donné par 3 membres du groupe Arattan N’akalle qui avaient pu faire le voyage, accompagné d’une partie du groupe franco-berbère L’orchestre BTP. C’était un de ces moments de joie et de partage qui tombent bien. Il reste à imaginer une suite à cette soirée, à réfléchir aux modes d’actions coopératives envisageables malgré les obstacles, à la manière dont Le CARI, la MTMSI et Tazunt peuvent allier leurs compétences pour apporter un soutien efficace aux projets de ces paysans.