Dans le cadre du Sommet International Desertif’actions, le CARI a proposé à ses partenaires et aux organisations de la société civile investies dans la gestion durable des terres et la promotion de l’agroécologie de se concerter et d’élaborer des positions communes en amont de la COP15 de la Convention Désertification prévue en mai 2022.
De janvier à mars 2022 se sont tenu des ateliers dans plusieurs pays participants. Ces ateliers ont permis l’élaboration de positions et de recommandations partagées de la part de la société civile de différents pays et de leurs partenaires.
Retrouvez les rapports d’ateliers complets à droite de l’article.
Synthèse de l’atelier national en Tanzanie
Un trentaine de personnes ont participé à l’atelier tenu le mercredi 9 mars 2023 à Arusha en Tanzanie. Cet atelier co-organisé par l’ONG Iles de Paix, le réseau PELUM et l’Ambassade de France en Tanzanie, autour de la thématique : « Des solutions agroécologiques pour lutter contre la désertification et inspirer la transition vers des systèmes alimentaires durables ».
S’il n’existe aujourd’hui en Tanzanie aucune politique nationale spécifique de soutien à l’agroécologie, nombreuses sont toutefois les initiatives en la matière développées par les acteurs de la société civile. Les premières ont été lancées dans le Nord-Est du pays, par les communautés Chagga, qui ont développé des jardins forestiers.
Les participants à cet atelier ont décidé d’orienter la discussion autour de trois thématiques :
- désertification et biodiversité,
- désertification et sécurité alimentaire,
- et désertification et changement climatique.
Après avoir fait le constat de la perte exponentielle de la biodiversité nationale, de la part grandissante de la population en situation d’insécurité alimentaire, et de l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des évènements climatiques extrêmes qui s’abattent sur les communautés et les écosystèmes, les participants ont reconnu la pertinence des pratiques agroécologiques comme solutions pertinentes pour lutter contre ces fléaux.
L’agroécologie permet de minimiser les impacts humains sur la biodiversité et de redonner des espaces à cette dernière pour se développer. L’agroécologie permet également d’augmenter la disponibilité en nourriture par la production d’une grande variété de cultures vivrières, de légumes, de fruits et de légumineuses. Enfin, les pratiques agroécologiques permettent le stockage d’une importante quantité de carbone dans les sols, ainsi que l’accroissement de la capacité d’adaptation des populations, en particulier des petits exploitants, au changement climatique, en diversifiant la production alimentaire et les options de revenus.
Les participants à l’atelier national tanzanien plaident ainsi pour :
- La suppression de toutes les barrières techniques, structurelles et politiques au développement des pratiques agroécologiques dans le pays ;
- L’intégration de l’agroécologie et de ses principes dans les politiques et stratégies nationales de la Tanzanie ;
- Le développement et le financement par l’Etat tanzanien de formations, de communautés d’échanges et de pratiques entre exploitants pour pouvoir former ces derniers aux pratiques agroécologiques ;
- L’engagement de l’Etat en faveur de l’octroi et de la sécurisation des droits fonciers des agriculteurs en faveur d’une gestion durable des terres ;
- Le développement d’un cadre de suivi et d’évaluation standardisé et harmonisé des pratiques agroécologiques pour pouvoir suivre les performances des projets mis en œuvre à différents niveaux.
Synthèse de l’atelier national en Mauritanie
Le jeudi 17 mars 2022 s’est tenu à Nouakchott l’atelier national mauritanien dans le cadre des activités de Désertif’actions 2022, en prélude à la COP15 de la CNULCD (mai 2022, Abidjan, Côte d’Ivoire) et au sommet international Désertif’actions (octobre 2022, Montpellier, France). Est ainsi progressivement en train de se construire un plaidoyer commun de la société civile internationale sur les liens entre terre, biodiversité et climat autour de l’agroécologie.
Une vingtaine de personnes ont participé à l’atelier du jeudi 17 mars à Nouakchott (Mauritanie). La discussion a été orientée autour de deux thématiques principales, qui ont semblé les plus pertinentes au vue des défis mauritaniens : l’apport de l’agroécologie dans l’adaptation aux changements climatiques et la restauration des terres dégradées et des ressources naturelles.
Les réflexions se sont basées sur plusieurs domaines d’action dont les circuits de distribution et la communication entre producteurs et consommateurs, le savoir-faire paysan, l’utilisation des ressources en eau et la diffusion des codes la régissant, et enfin, l’accès aux fonciers.
Différents résultats ont été obtenus, mais tous favorisent le renforcement des capacités et synergies et le soutien accordés aux acteurs concernés, la mise en place de mécanismes de soutien technique et financier, le développement d’aménagements hydroagricoles, l’appui politique des institutions gouvernementales, et la sensibilisation du grand public mais aussi des acteurs concernés par le biais d’actions concrètes.
Les participants à l’atelier national mauritanien plaident ainsi pour :
- Des terres productives et des communautés qui bénéficient de ressources de vie suffisantes à leur bien-être ;
- Des moyens efficaces de collaboration entre les différents acteurs impliqués dans l’intensification des pratiques agroécologiques qui facilitent la mise à l’échelle de l’agroécologie ;
- Un financement flexible pour soutenir les initiatives à long terme destiné à atteindre le milieu populaire ;
- Une approche qualitative et non quantitative des résultats.
Synthèse de l’atelier national en Inde
Samedi 26 mars, l’atelier national à Jaipur a été coordonné par le CARI et Gram Bharati Samiti (GBS), partenaire indien du projet AVACLIM. Trente-cinq personnes originaires de 9 Etats différents y ont participé, dont des agriculteurs, des membres de la société civile ainsi que des chercheurs. Les participants ont décidé de se concentrer sur la thématique de la sécheresse.
Ce ne sont pas moins de 30% des terres du sous-continent qui sont aujourd’hui dégradées, soit près de 100 millions d’hectares, dans un pays où les 2/3 de la population tirent leurs revenus de l’agriculture. Les sécheresses et inondations y sont fréquentes, et le secteur agricole est déjà durement touché par cette variabilité climatique. A l’horizon 2030, l’Inde devrait devenir le pays le plus peuplé du monde, et aura besoin de produire 100 million de tonnes de céréales alimentaires supplémentaires pour nourrir une population toujours plus nombreuse.
Si l’agroécologie constitue la base scientifique des anciennes pratiques agricoles indiennes, il n’existe pas aujourd’hui de statistique précise sur la proportion de terres cultivées selon ces pratiques. Une étude de 2020 de l’International Federation of Organic Agriculture Movements précise toutefois que l’Inde est le pays dans lequel le nombre d’agriculteurs en bio est le plus élevé. En 2016, l’Etat de Sikkim a même été déclaré « 100% bio ». Or seuls 7,5% des ventes de ces produits issus de l’agriculture biologique sont destinées au marché intérieur, notamment du fait d’une demande extérieure élevée, notamment dans les pays européens. Face à la crise agraire, les producteurs locaux ont identifié l’opportunité que constitue la connexion aux marchés locaux, entrainant par conséquent un renforcement de la sécurité alimentaire sur place. Le samedi 14 mai 2022, le premier ministre indien a même interdit l’exportation du blé indien, et ce pour tenter de contenir l’envolée des prix et d’assurer la sécurité alimentaire du pays.
La sécheresse constitue un problème important et sensible en Inde. La variabilité des précipitations (faibles ou extrême en fonction de la géographie), la rareté des installations d’irrigation (y compris les ressources en eau), les mauvaises récoltes et les problèmes liés à la productivité, la pénurie de carburant, de fourrage et d’aliments pour animaux, ne font qu’aggraver un stress hydrique déjà élevé. Sur les 742 districts que compte le pays, 246 d’entre eux (33%) sont d’ores et déjà confrontés à ce défi majeur qu’est la sécheresse.
Différents programmes et initiatives de lutte contre la sécheresse ont été déployés ces dernières années par les organisations locales, notamment le programme Bhubaneshwar Odisha de la Udyama and Nirman Foundation, consistant en la promotion de pratiques agricoles résistantes à la sécheresse auprès de 2200 fermiers de deux districts, dont la culture de millets, la culture mixte du paddy etc. Une autre initiative, nommée Vaagdhaara, actuellement développée au Rajasthan, consiste en l’établissement de plan de gestion des catastrophes naturelles, ainsi qu’en la mise en place de programmes de développement du désert, de développement de l’agriculture pluviale, ainsi que de plans de gestion des bassins versants.
L’agroécologie s’avère pertinente à plusieurs égards pour relever le défi de la sécheresse, de par :
- L’utilisation de plantes plus résistantes au climat, qui demandent par conséquent moins d’eau
- Une gestion responsable et adaptée des ressources en eau, permettant aux communautés locales de mieux collecter les ressources disponibles (par des techniques de récupération de l’eau, des bassins locaux, des barrages de retenue, le recyclage des eaux grises…)
- Une couverture constante des sols par des prairies, des cultures ou des paillages, permettant d’éviter l’érosion des sols et de retenir l’eau en situation sèche
- Une meilleure utilisation des ressources et des produits dérivés, d’où une meilleure résilience globale du système à des situations extrêmes telles que la sécheresse.
En réduisant la dépendance extérieure, l’agroécologie permet une meilleure résilience de la communauté locale en cas d’événement inattendu (sécheresse, fluctuations des marchés, etc.), qui aurait un impact sur l’approvisionnement. Elle est également un moyen de fournir une alimentation saine et en grande quantité pour les populations locales, y compris en situation de sécheresse. Elle permet par conséquent de lutter contre la faim et la malnutrition, en particulier dans les zones sèches.
Synthèse de l’atelier national au Cameroun
Mardi 29 mars 2022 s’est tenu à Yaoundé l’atelier national. Au Cameroun, ce sont majoritairement les petits producteurs qui pratiquent l’agroécologie à l’aide de techniques agricoles traditionnelles ou grâce à l’accompagnement des ONG locales. Initialement impulsée dans le pays pour faire face aux problèmes de durabilité des systèmes d’agriculture familiale, elle pourrait être une solution à d’autres problèmes.
Au cours de l’atelier, les discussions se sont formées autour de trois thématiques : la sécurité alimentaire, les changements climatiques et la restauration des écosystèmes.
Plusieurs conclusions et propositions ont été extraites, dont :
- Les pratiques agroécologiques de fertilisation naturelle des terres et d’association des cultures dont des légumineuses permettraient d’augmenter la productivité agricole, d’améliorer la diversité alimentaire et de diminuer la malnutrition ;
- L’utilisation d’engrais verts (biochar) et la mise en place d’aménagements de lutte contre l’érosion permettraient de diminuer les quantités de gaz à effets de serre et d’augmenter la fertilité des sols en améliorant la rétention de l’eau dans les sols en zone aride ;
- Les pratiques agroforestières et agroécologiques de gestion durable des terres permettraient de régénérer les terres dégradées et de préserver leur qualité.
Les messages de plaidoyer à porter sont les suivants :
- Développer des mécanismes locaux de sécurisation foncière ;
- Améliorer l’accès à la terre ;
- Plaider pour la finalisation des plans locaux d’aménagement et de développement durable des territoires ;
- Démocratiser les connaissances en agroécologie ;
- Renforcer la vulgarisation agricole de l’agroécologie ;
- Intégrer l’agroécologie dans la législation camerounaise ;
- Intégrer la formation sur l’agroécologie dans les curricula ;
- Documenter et partager les expériences réussis sur l’agroécologie ;
- Mettre en place des mesures incitatives pour les métiers de l’agroécologie ;
- Renforcer les mouvements nationaux et internationaux de promotion de l’agroécologie ;
- Mobiliser des financements durables pour les initiatives agroécologiques ;
- Encourager la recherche sur l’agroécologie et vulgariser les résultats de ces recherches.
Synthèse de l’atelier national en Côte d’Ivoire
Une soixantaine de personnes a participé à l’atelier national à Abidjan (Côte d’Ivoire) du mercredi 30 mars 2022, autour de la thématique : « Des solutions agroécologiques pour lutter contre la désertification et inspirer la transition vers des systèmes alimentaires durables ».
En Côte d’Ivoire, il reste encore plusieurs problèmes à solutionner. Les pénuries alimentaires, l’appauvrissement de la population, l’insécurité, l’inflation des prix, etc., sont causés par des manquements au niveau de la production mais surtout au niveau des systèmes agricoles des cultures de rente, qui favorisent les produits de synthèse et l’exportation à la mise en place d’une agriculture locale, écologique et égalitaire.
A la suite des échanges et discussions axés sur la sécurité alimentaire, les participants en sont venus à la conclusion que l’agroécologie peut contrer ces manquements et ce, par le biais des actions suivantes :
- Une gestion durable des terres qui favorise la culture extensive à l’intensive ;
- Une mise en place de stocks permettant la disponibilité des semences ;
- Une réduction des prix grâce à la mise en place de réserves foncières agricoles et la création de circuit d’approvisionnement courts ;
- Une sensibilisation et formation des populations aux techniques de l’agroécologie et aux bonnes pratiques agricoles (compost et fumier, biopesticides…).
Ces actions sont à porter à tous les niveaux : Etat, gouvernement, société civile et secteur privé, populations…
Les participants plaident aussi pour :
- Une sensibilisation et des formations à l’utilisation des pratiques agricoles ;
- Un appui financier et technique aux agriculteurs ;
- Une valorisation et une vulgarisation du travail agricole et de ses techniques ;
- Un mécanisme de suivi et d’évaluation ;
- Une réorientation des politiques vers une autosuffisance alimentaire ;
- Une synergie d’action entre les acteurs.